La gestion numérique de la couleur évoque encore aujourd’hui plus de méfiance qu’autre chose de la part des imprimeurs. Peut-être est-ce par ce que nombre de « spécialistes de la couleur » ont parfois oublié cette évidence : le métier d’imprimeur ne se décrète pas, il s’apprend. En la matière, fi des théories, mais des résultats !
Prenons pour exemple trois dispositifs familiers qui reproduisent les couleurs chacun selon un procédé particulier. L’écran d’un ordinateur, une imprimante d’épreuve, et une presse offset. Le premier effectue une synthèse additive de la couleur tandis que le système d’épreuve et la presse offset restituent les couleurs selon une synthèse soustractive. Mais l’imprimante à jet d’encre utilise le plus souvent des pigments de sept couleurs distinctes (Cyan, Magenta, Jaune, Noir, Cyan léger, Magenta léger, et gris) alors que la presse offset imprime en quadrichromie (CMJN).
Le but est naturellement que tous affichent ou impriment des couleurs similaires, en l’occurrence celles que la presse offset est capable de reproduire.
Caractérisation
Un spectrophotomètre permet de mesurer les couleurs affichées par le moniteur ou imprimées par l’imprimante et la presse. La mesure s’effectue sur une charte de couleurs représentative.
Une fois les spectres mesurés sur chaque échantillon (patch) de la charte, on peut préciser la relation entre les couleurs propres au périphérique et celles d’un espace chromatique de référence comme le CIELAB ou l’espace XYZ. Cette dernière opération est connue sous le nom de caractérisation. Elle est à la base de la gestion de la couleur. La caractérisation débouche sur l’élaboration d’un profil ICC (établi selon les recommandations de l’International Color Consortium).
Profil ICC
Le profil ICC est en quelque sorte la carte chromatique d’un dispositif de reproduction de la couleur. Il est, à l’espace colorimétrique propre au dispositif, ce que la carte génétique est à la biologie d’un être vivant. L’espace colorimétrique, circonscrit par le profil ICC, est aussi appelé le gamut du dispositif de reproduction de la couleur. On représente souvent celui-ci sous son aspect le plus parlant : un tracé dans le diagramme de chromaticité xyY.
Un profil ICC n’est autre qu’une matrice de correspondance entre ce gamut, et un espace chromatique de référence dit PCS (pour Profil Connection Space). Il définit un espace en trois dimensions dont certains logiciels donnent une représentation en volume.
Gamuts comparés de deux profils ICC.Calibrage
Il ne faut pas confondre la caractérisation avec le calibrage. Le calibrage est souvent appelé à tort « calibration » selon un anglicisme malheureusement répandu. Il consiste en une mise en conformité avec les spécifications d’un constructeur ou avec un standard normatif. Le calibrage est en quelque sorte l’étalonnage du périphérique, tandis que la caractérisation est la mise en correspondance, avec un référent universel (le modèle chromatique de référence), de la façon dont le périphérique calibré rend compte des couleurs.
Chacune de ces deux opérations est indispensable. Il ne sert à rien de caractériser un périphérique sans l’avoir au préalable calibré. Le calibrage est la seule garantie de la pérennité des réglages de l’appareil et de la justesse de sa caractérisation. Pour être efficace, la gestion de la couleur doit en effet s’effectuer dans un environnement stable. Aussi soigneusement réalisé soit-il, un profil ICC ne serait d’aucune utilité si la machine dont il décrit les couleurs n’est pas (ou plus) étalonnée. Cela reviendrait à utiliser un même profil ICC pour deux machines différentes.
La gestion numérique de la couleur
Le processus appelé « gestion de la couleur » ou « color management » en anglais consiste à mettre en concordance entre eux les différents profils ICC en utilisant, comme référent, un espace chromatique commun le PCS.
Schématiquement, la gestion de la couleur ressemble au raccordement de différents appareils par l’intermédiaire d’une armoire électrique (le PCS). Si l’on veut reproduire la couleur A d’un appareil X sur un appareil Y il suffit de tirer un câble entre A et la connexion Alpha qui lui correspond sur l’armoire électrique (le PCS). (Le profil ICC de X indique en effet qu’aux valeurs de la couleur A sur X correspondent les valeurs Alpha du PCS.) Il suffit ensuite de tirer un autre câble depuis la valeur Alpha de l’armoire électrique (le PCS) vers la couleur B du dispositif Y, car le profil ICC d’Y indiquait qu’à la couleur absolue Alpha correspond, sur Y, les valeurs de B. Le principe en lui même est aussi simple que cela.
En pratique, la mise en correspondance de gamuts sensiblement égaux ne pose pas de difficulté majeure pour la gestion de la couleur. Il suffit de connecter correctement les câbles de l’armoire électrique ICC, pour obtenir une conversion de profil ICC à profil ICC correcte.
Il en va de même si l’on veut faire reproduire les couleurs d’un dispositif de moindre gamut, par un autre dispositif à large gamut (faire reproduire les couleurs d’une presse offet par système d’épreuvage par exemple) . Car, qui peut le plus, peut le moins.
L’opération est bien plus complexe quand l’on doit faire corrrespondre au mieux les couleurs d’un dispositif à large gamut sur un autre de gamut inférieur. Typiquement si l’on doit imprimer sur une presse offset un document conçu sur un moniteur graphique. Dans ce cas, il existe des couleurs que le moniteur affiche correctement, mais qui n’appartiennent pas au gamut de la presse. Ces couleurs sont dites hors gamut, certains logiciels les appelaient même jadis « couleurs non imprimables ». Mais le métier d’imprimeur consiste justement à les imprimer !